TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CERGY-PONTOISE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise
1ère Chambre
M. et Mme….
M. Plas Rapporteur
M. Ricard
Rapporteur public
Audience du 2016
Lecture du 2016
04-02-04
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 2014 et le . 2015 et le 2016, M. et Mme . agissant tant en leur nom propre qu'en qualité d'administrateurs légaux de leur fille mineure · ,, représentés par Me Grevin, demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) de condamner l'Etat à leur verser la somme globale de 191 658,04 euros en réparation des préjudices subis tant par eux-mêmes que par leur fille en raison des carences de l'Etat dans la prise en charge des troubles autistiques de celle-ci, ladite somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2014 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'Etat n'a pas mis en œuvre les décisions de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) relatives à la prise en charge de leur fille
en milieu scolaire ordinaire ;
- l 'Etat n'a pas mis en œuvre les orientations prononcées par la CDAPH pour la prise en charge de leur enfant par le service d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) Les Premières classes à Suresnes ;
- ces carences révèlent une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- ils ont subi de ce fait un préjudice moral, évalué à la somme de 45 000 euros ;
- leur fille a également subi un préjudice moral, évalué lui aussi à la somme de 45 000 euros ;
- ils ont également subi un préjudice financier d'un montant de 101 658,04 euros,
constitué par les pertes de salaires consécutives à l'arrêt de l'activité professionnelle de Mme
, pour 53 542,89 euros, et par les frais occasionnés par le recours à une tierce personne et l'intervention d'une psychologue, pour 48 115,15 euros.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les directeur général de l'Agence régionale de santé
2015 et 2015, le conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir :
- à titre principal, que le droit à l'accès à la scolarisation et l'éducation de la fille des requérants n'a pas été méconnu ;
- à titre subsidiaire, que les préjudices allégués sont surévalués.
Par un mémoire en défense enregistré le conclut au rejet de la requête.
2015, le recteur de l'académie de
Il fait valoir :
- à titre principal, que la requête est irrecevable faute de démontrer que la demande indemnitaire préalable a effectivement été notifiée au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
- à titre subsidiaire, que le droit à l'éducation de la fille des requérants n'a pas été méconnu dès lors que ceux-ci ont décidé d'avoir recours à une accompagnatrice privée avant même que les services de l'éducation nationale aient pu mettre en œuvre les décisions d'orientation de la CDAPH.
Vu les autres pièces du dossier ; Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique:
- le rapport de M. Plas, premier conseiller,
- les conclusions de M. Ricard, rapporteur public,
- et les observations de Me Grevin pour M. et Mme . et leur fille
1. Considérant que M. et Mme demandent à ce que l'Etat soit déclaré responsable en raison du défaut de prise en charge de leur fille selon les orientations successivement prononcées par la comrrnss1on des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) entre 2011 et 2014 et soit condamné à réparer le préjudice moral subi par leur fille et par eux mêmes ainsi que leurs préjudices financiers ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le recteur :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'avant d'introduire leur requête, M. et Mme ont adressé le 2014 une demande indemnitaire préalable au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche par lettre recommandée avec avis de réception ; que ce courrier a été reçu le 2014 ; que, dès lors, la fin de non recevoir opposée par le recteur de l'académie de tirée de l'absence de preuve de la notification de cette demande préalable, ne saurait être accueullie ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au litige : << Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques .
/ Adaptée à l'état et à l'âge de la personne et eu égard aux moyens disponibles, cette prise en charge peut être d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social. " ; qu'aux termes de l'article L. 112-1 du code de l'éducation : "Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent (...), le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés. " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 131-1 de ce même code :
" L'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans. " ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ces dispositions que, d'une part, le droit à l'éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation, et l'obligation scolaire s'appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation ; que, d'autre part, le droit à une prise en charge pluridisciplinaire est garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique, quelles que soient les différences de situation ; que si, eu égard à la variété des formes du syndrome autistique, le législateur a voulu que la prise en charge, afin d'être adaptée aux besoins et difficultés spécifiques de la personne handicapée, puisse être mise en œuvre selon des modalités diversifiées, notamment par l'accueil dans un établissement spécialisé ou par l'intervention d'un service à domicile, c'est sous réserve que la prise en charge soit effective dans la durée, pluridisciplinaire, et adaptée à l'état et à l'âge de la personne atteinte de ce syndrome ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que par une décision en date du 2011, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées des _
a accordé à la jeune une auxiliaire de vie scolaire individuelle à hauteur de six heures par semaine ; que, par plusieurs décisions successives, ladite commission a réitéré cette orientation en augmentant à douze puis à vingt-quatre heures par semaine la prise en charge de la Jeune ; que, malgré ces décisions, l'inspection académique n'a pas procédé au recrutement d'une auxiliaire de vie afin de répondre aux besoins d'une prise en charge adaptée de la jeune
. ; que si le recteur de l'académie de fait valoir en défense que les démarches nécessaires n'ont pas été menées à leur terme en raison de celles entreprises au préalable par
M. et Mme pour le recrutement d'une accompagnatrice privée, cette circonstance n'est pas de nature à exonérer les services de l'Etat des obligations qui leur incombe en vertu des articles précitées du code de l'action sociale et des familles et du code de l'éducation et en vertu desquelles il revient à l'Etat, dans ses domaines de compétence, de mettre en place les moyens financiers et humains nécessaires afin que le droit pour les personnes handicapées qui entendent poursuivre leur scolarisation ait un caractère effectif ; que, dès lors, l'absence de recrutement d'une auxiliaire de vie révèle une carence de l'Etat dans la mise en œuvre de ses obligations et constitue une faute de nature à engager sa responsabilité ;
6. Considérant, en second lieu, qu'en vertu de l'article L. 241-6 précité du code de l'action sociale et des familles, il incombe à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, à la demande des parents, de se prononcer sur l'orientation des enfants atteints d'un syndrome autistique et de désigner les établissements ou les services correspondant aux besoins de ceux-ci et étant en mesure de les accueillir, ces structures étant tenues de se conformer à la décision de la commission ; qu'ainsi, lorsqu'un enfant autiste ne peut être pris en charge par l'une des structures désignées par la commission en raison d'un manque de place disponible, l'absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l'Etat dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d'une telle prise en charge dans une structure adaptée ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que par un jugement en date du
* 2013, le Tribunal du contentieux de l'incapacité a prononcé l'orientation de la jeune en établissement médico-social et désigné le service d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) . ; que malgré ce jugement, la jeune n'a pas pu bénéficier d'une prise en charge de ce type dès lors que l'établissement désigné a refusé, faute de place, sa prise en charge comme en atteste le courrier adressé aux requérants le 9 décembre 2013 ; que si la jeune a tout de même pu bénéficier, dans l'attente que des places se libèrent au sein du SESSAD . , d'une prise en charge depuis la rentrée scolaire 2014 par le service de soutien à l'éducation familiale et à l'intégration scolaire (SSEFIS) · · . l'absence de prise en charge spécifiquement adaptée à ses troubles, selon l'orientation prononcée par le Tribunal du contentieux de l'incapacité et la CDAPH, révèle une carence de l'Etat dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que la fille des requérants bénéficie effectivement d'une prise en charge pluridisciplinaire au sens de l'article L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles et constitue également une faute de nature à engager sa responsabilité ;
Sur les préjudices :
En ce gui concerne la perte de revenus de Mme
8. Considérant que si les requérants font valoir que Mme a été contrainte, à compter du mois de janvier 2011, de cesser l'activité professionnelle qu'elle exerçait à plein temps et qu'elle aurait pu reprendre une activité à compter du mois de janvier 2013, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que l'arrêt de toute activité professionnelle de Mme présenterait un lien direct avec la carence fautive de l'Etat dans la prise en charge de la jeune
en l'absence, notamment, de toute justification quant aux conditions de la rupture du contrat de travail de l'intéressée qui avait pris effet le 25 janvier 2011, soit antérieurement à la première
décision de la comm1ss10n des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ; que l'affirmation selon laquelle Mme aurait pu retrouver un travail à compter du mois de janvier 2013 si le SESSAD . avait été en mesure d'accueillir la jeune n'est pas corroborée par l'instruction ; que, dès lors, la réalité de ce préjudice financier n'est pas établie ;
En ce qui concerne les frais engagés :
9. Considérant, en premier lieu, que le lien de causalité direct entre, d'une part, le préjudice financier résultant du recrutement et la rémunération d'une psychologue afin d'assurer une mission de supervision de !'accompagnatrice privée recrutée par les requérants et d'autre part, l'absence de recrutement par l'Etat d'une auxiliaire de vie ou de l'absence de place en SESSAD n'est pas établi ;
10. Considérant, en second lieu, qu'en raison des insuffisances dans la prise en charge de leur enfant, M. et Mme ont eu recours au service d'une tierce personne pour répondre aux besoins à la fois scolaires et personnels de la jeune ; que si les requérants sont en droit de prétendre à l'indemnisation des frais occasionnés par le recours à une tierce personne, ces frais ne sauraient donner lieu à indemnisation si leur montant est inférieur à celui du complément perçu par les requérants au titre de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, lequel est destiné à compenser les dépenses liées au handicap de leur fille ;
11. Considérant que M. et Mme sollicitent une indemnité de 39 525,15 euros au titre du seul préjudice financier correspondant aux frais liés au recrutement et à la rémunération par leurs soins d'une auxiliaire de vie scolaire pour leur fille ; que les requérants bénéficient toutefois depuis le 1cr avril 2012 du complément 5 de l'allocation d'éducation d'enfant handicapé et depuis le 1er février 2014 du complément 6 de cette même allocation ; qu'il résulte de l'instruction que le montant des frais liés au recrutement et à la rémunération de l'auxiliaire de vie scolaire engagés par les requérants demeure inférieur à celui perçu au titre des compléments de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé ; que, dès lors, les dépenses alléguées ne sauraient en l'espèce donner lieu à indemnisation, le préjudice ayant ainsi déjà été compensé par l'octroi de l'allocation précitée ;
En ce qui concerne le préjudice moral :
12. Considérant que l'absence d'une prise en charge de la jeune conforme à l'orientation principale prononcée par le Tribunal du contentieux de l'incapacité lui a causé un préjudice moral dont ilsera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 15 000 euros, compte tenu de la circonstance qu'elle a tout pendant ces années d'une scolarisation avec l'aide d'un auxiliaire de vie scolaire puis d'une prise en charge par le service de soutien à l'éducation familiale et à l'intégration scolaire ; qu'il sera également fait une juste appréciation du préjudice moral subi par ses parents en leur allouant une somme de 20 000 euros chacun ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Etat est condamné à verser à M. et Mme une somme globale de 40 000 euros et, en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure , une somme de 15 000 euros, les deux sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2014, date de réception de la demande indemnitaire par le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
"Dans toutes les instances, lejuge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu 'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n y a pas lieu à cette condamnation" ;
15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme de la somme totale de 3 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. et Mme , en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure , une somme de 15 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2014.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. et Mme avec intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2014.
une somme de 40 000 euros,
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme
L. 761-1 du code de justice administrative.
une somme de 3 000 euros au titre de l'article
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié M. et Mme ., à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Copie en sera adressée, pour information, au recteur de l'académie de Versailles et au directeur général de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 2016, à laquelle siégeaient :
M.Geffray, président,
M. Plas, premier conseiller,
M. Mulot, conseiller,
Lu en audience publique le 2016.
Le rapporteur, Le président,
signé signé
F. Plas J-E.Geffray
Le greffier,
signé
S. Le Gueux
La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits desfemmes chacune en ce qui les concerne ou à tous huissiers dejustice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à !'exécution de laprésente décision.
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